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lundi 16 janvier 2012

Comment exprimer l'idée d'une ville ou le souvenir d'un lieu?

Extrait:

"La ville aux Camélias"     
de Benoît Roch


" Lorsque je voyage à l'étranger, on me demande parfois d'où je viens. Il est assez difficile de tracer les contours d'une carte de France. Et plus encore si l'on est privé de crayon. Alors comment situer nantes sur un Atlas imaginaire? Je devine à la moue courtoise de mes compagnons que le sujet leur échappe.
Nantes?... Mais qui connaît cette ville au cœur de la jungle asiatique? Je mesure ces instants la relativité des choses et des idées. Que reste-t-il des colonnes de théâtre Graslin devant les marches d'un temple hindou? Et les tours de la cathédrale, que sont elles comparées aux fastes de ce palais Rajpoute?

     C'est dans la forêt d'Angkor, sous des foliations abondantes que j'ai eu la pensée absolue de La Cigale. Je dis bien la pensée, pas le souvenir, car cette sorte d'impulsion s'est imposée à moi. Je voyait l'endroit, ses murs chatoyants, et son décor exubérant. Comment décrire cette sensation? Le parfum d'une image, exhalaison entêtante, rêve d'éternité... Qui connaît La Cigale me comprendra. C'est pour les nantais, la plus belle brasserie de France, posée comme un flambeau sur la demi-lune qui borde la place Graslin.

      Mon ami François est architecte. Il dîne souvent dans ces lieux enchantés. Jamais à la même table. "Je veux apprivoiser chaque odeur" se plaît-il à répéter. Il est grand et il est maigre. C'est pour cela qu'il mange comme deux. Un soir que je l'avais accompagné, il m'enseigna l'art des traits et des cercles. "Peux-tu me représenter les contours de la place Graslin?". François est passionné par la ville, par le génie de ses grands urbanistes Jean-Baptiste Ceirenay et Mathurin Crucy. Je forme des signes étranges sur la nappe de notre table. On dirait une conversation entre les membre d'une société secrète.  Qui nous regarde à ce moment peut supposer que nous préparons un mauvais coup. Mais je suis maladroit, et malgré les stimulations de Muscadet, je ne parviens pas à saisir le mouvement juste. diable, une demi-lune, ce n'est pas si difficile à reproduire!...

       François a repoussé nos assiettes. Il joue avec les couverts. "d'abord, un rectangle. Le théâtre est sur le grand côté. Puis, un demi cercle sur l'autre côté." Voilà, c'est tout, le plan est devant nous. c'est la beauté du XVIII ème siècle qui se révèle à moi, par les formes parfaites de ces couverts désordonnés. Un rectangle, un demi-cercle, ma vision n'est pas assez géométrique. La beauté... C'est le secret d'un théâtre d'enseigner la beauté. Je bois mon verre, et les images de la jungle d'Angkor se mêlent aux reflets de l'argenterie. Où suis-je en cet instant? Dans chacun de ces deux univers. Et cela me rend heureux.

        Il m'arrive  parfois, quand je descends en ville, de céder au besoin de passer devant La Cigale. Je n'ai aucune raison de faire ce tour, mais je plaît de scruter ses feux chatoyant à travers les petits carreaux aux fenêtres. Je reste là, bouche bée, comme un enfant émerveillé par les tournoiements d'un manège illuminé. Et bientôt, je m'abandonne à croire que cet endroit est un lieu chimérique, un songe doré, surgi tout droit de mon imaginaire. À tout moment, je guette les visages qui trempent dans cet aquarium, comme les personnages apocryphes d'un nouveau roman proustien, et flâneur incorrigible, sur les vitrages embués par les fumets et les vapeurs d'alcool, inconsolable, je recherche endiablé le sourire tant aimé de Lola."






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